LE VIDE MEDIAN / projet de diplôme sur Les îles de Jean Grenier
Une camera obscura pour méditer au coeur du paysage.
Le projet est né livre du philosophe Jean Grenier, intitulé Les îles.. Ce livre qui rassemble plusieurs textes courts en prose, est un livre emprunt de lumière et de quiétude, difficile à classer, qui se rapproche du carnet de voyage. C’est un carnet de voyage à travers la vie, à travers une quête d’île en île, que nous propose Jean Grenier.
Les îles, ce sont pour lui, ces moments de grâce, qui se distinguent du reste de l’océan du quotidien, et qui rachètent la vacuité de notre existence humaine. Ce sont des instants de vie où , écrit Jean Grenier, “le désir est près d’être satisfait”, alors qu’il nous semble pouvoir presque saisir un absolu qui pourtant aussitôt se dérobe. Ce sont des moments de communion avec le monde qui nous placent en même temps en recul par rapport au monde : dedans et dehors, partie contemplatrice d’un tout.
Ce point de départ m’a donné envie de m’appuyer sur plusieurs directions telles que le dispositif in situ, l’expérience du spectateur-visiteur, et la matière de la terre, pour développer ce projet.
Les îles comporte cette idée d’un moment de grâce qui s’offrirait à nous de façon inopinée, c’est pourquoi il me semblait donc important d’insérer mon projet dans un lieu existant, un lieu extérieur et urbain, et qui pourrait potentiellement s’offrir au passant comme un présent. L‘in situ permet la découverte fortuite et l’étonnement.
L’écriture à la première personne du livre et la mise en avant de ces havres de grâce des îles, comme seule expérience valable d’une vie, ont orienté mon projet vers un dispositif favorisant l’expérience directe et personnelle du spectateur, son immersion dans un espace et un rythme.
J’ai souhaité construire ce dispositif autour de la matière première de la terre car c’est un matériau chargé d’images et de sens, proche d’une certaine idée d’absolu, de la Grande Terre Mère monumentale, au grain friable comme la poussière, de la matrice de vie, de la peine du labour et de la croissance du germe, au silence éternel de la mort. Quant à la lumière, le livre en est empli, et son évanescence tout comme son caractère céleste en font l’élément complémentaire de la terre.
J'ai ainsi développé le projet d’une installation immersive in situ dans les arènes de Lutèce à Paris, qui sont comme une île dans la ville, à la fois à l’intérieur et à l’écart du tissu urbain et de l’agitation des hommes. Cette installation invite à la et la méditation : un paysage de terre à contempler comme on contemple la mer, avant de pénétrer jusqu’au cœur de l’installation,, une caverne souterraine agissant comme une camera obscura.
Devant ce paysage, sur la promenade en bois, le visiteur est comme au seuil d’un espace, d’un élément naturel, mais aussi au seuil d’un ailleurs, d’un possible contenu dans l’horizon de l’espace inaccessible.
En pénétrant à l’intérieur de la terre, par les souterrains aux murs de pisé de terre noire, le visiteur aborde un mouvement de descente dans l’obscurité, vers une destination inconnue de lui, suscitant à la fois curiosité, prudence et fascination. C’est l'imaginaire de la grotte dont parle Bachelard dans La terre et les rêveries du repos qui entre en action : le mystère de l’écho et de l’introspection, le retour vers la matrice dans une grotte de renaissance, le microcosme du monde contenu entre la voûte et le sol, le lieu magique, hanté d’ombres et d’esprits. Dans l’imaginaire de la grotte, on retrouve la même image profonde que celle de la maison, du ventre, de l’œuf ou de la graine ; celle de la cavité parfaite. Bachelard écrit: “demeurer dans la grotte, c’est commencer une méditation terrestre, c’est participer à la vie de la terre, dans le sein même de la Terre maternelle.”
Or cette grotte est aussi une camera obscura qui projette à l’intérieur de cette “cavité parfaite” l’image inversée et mouvante du monde extérieur. L’’image du ciel s’imprègne au sol de la caverne, au cœur même de la terre. Cette camera obscura se fait ainsi l’image du vide médian, rencontre en mouvement de la terre et du ciel, souffle de transformation perpétuelle et d'harmonie, seul absolu et seule vérité au-delà de la désillusion de l’homme confronté à la vacuité de son existence. Laozi écrit dans le Livre de la voie et de la vertu :
“ Le Dao d’origine engendre l’Un
L’Un engendre le Deux
Le Deux engendre le Trois
Le Trois produit les Dix-mille êtres
Les Dix-mille êtres s’adossent au Yin
Et embrassent le Yang
L’harmonie naît au souffle du Vide-médian. “
Photographies de la maquette : Dominique Feintrenie